Survivre ensemble : la leçon de Tromelin
Tromelin est une toute petite île, loin de tout, une écharde de corail posée sur l’océan Indien. Personne n’y vit. Pas d’arbres, pas d’ombre, juste l’eau qui cerne tout, partout. En 1761, une frégate française, l’Utile, s’y fracasse, abandonnant 160 esclaves malgaches et quelques marins. Ils n’ont rien. Pas de vivres, pas d’outils. Rien, sauf le temps qui s’étire.
Les Blancs construisent un radeau et repartent. Ils promettent de revenir. Ils ne reviennent pas.
Les esclaves restent. Seuls. Condamnés.
Mais ils font société. Pas par choix, par nécessité. Parce que survivre est un acte collectif. Ils ramassent du bois, cousent des vêtements avec des plumes, façonnent des outils de fortune. Ils organisent le peu d’eau de pluie, rationnent les tortues qu’ils capturent, dressent des feux pour signaler leur présence. Ils créent du lien, des règles, une structure. L’île ne donne rien, ils inventent tout.
Les mois passent. Les années. L’espoir s’efface, la mémoire du monde aussi. Ils vivent, meurent, enterrent leurs morts. Les naissances ponctuent la survie. Ils ne sont plus des esclaves sans nom, ils deviennent un groupe, une communauté tissée par l’épreuve.
Quand un navire français finit par accoster, quinze ans plus tard, ils ne sont plus que huit. Huit femmes. Huit survivantes d’un ordre social oublié, qui ont prouvé, sur ce caillou aride, que l’humain, toujours, recrée du collectif, même dans l’abandon le plus total.
Faire société, c’est ça. Ce n’est pas un choix. C’est une pulsion. Une nécessité.