Denis la Mache

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Les raisons de la colère : le vote RN en milieu rural

Eléments d’analyse du vote RN en sud Vendée

Comme partout en France, le rassemblement national est arrivé largement en tête dans nos communes rurales du sud Vendée. Scrutin après scrutin, il semble s’y être implanté plus profondément et plus durablement que dans les grands centres urbains vis-à-vis desquels les habitants de nos communes rurales ne déclarent nourrir aucun sentiment d’appartenance.

La situation semble cohérente avec une série d’études récentes qui met en lumière une tendance marquée : le soutien au Rassemblement national (RN) est significativement plus fort dans les territoires ruraux par rapport aux grandes agglomérations. Cette divergence ne se réduit pas simplement à des facteurs économiques et sociaux, mais révèle une dimension anthropologique profonde, caractérisée par ce que nous pourrions nommer une « conscience rurale ».

Conscience Rurale : Une Grille d’Analyse anthropologique

Plusieurs recherches internationales, notamment celles de la politiste Katherine Cramer, montrent que la conscience rurale est ancrée dans une identification sociale au lieu de vie et un ressentiment vis-à-vis des habitants urbains. Ce sentiment se décline en trois facettes :

  1. Politique : Les ruraux se sentent négligés et sous-représentés politiquement.
  2. Économique : Ils estiment être les derniers bénéficiaires des ressources publiques.
  3. Culturelle : Ils ressentent que leur mode de vie est méprisé par les urbains.

Un Ressentiment Géographique Marqué

En France, l’enquête européenne « Rural-Urban Divide in Europe » (RUDE) menée en octobre 2022 révèle un ressentiment géographique exacerbé chez les ruraux, particulièrement sur le plan politique. Près de 72% des ruraux se sentent méprisés par les élites, contre la moitié chez les urbains. Ce sentiment de mépris est également perceptible dans la perception de la représentation politique et de l’allocation des ressources publiques. 85% des ruraux estiment que le gouvernement favorise les zones urbaines au détriment des zones rurales. Dans le même temps, seulement 23% des urbains partagent cette perception. Ce ressentiment a beau se heurter aux données objectives qui montrent une surreprésentation des zones rurales à l’Assemblée nationale et une redistribution fiscale des grandes agglomérations vers les territoires ruraux, comme l’a démontré Laurent Davezies, rien n’y fait.

Conséquences Politiques

Ce ressentiment géographique a des conséquences politiques majeures. Les données montrent que les ruraux ressentant un fort mépris géographique sont plus enclins à voter pour le RN. Par exemple, le score du RN est supérieur de 22 points de pourcentage chez les ruraux ressentant un fort ressentiment par rapport à la moyenne nationale. Ce groupe voterait également deux fois moins pour le parti Renaissance. Ces résultats soulignent plusieurs points essentiels :

  1. Importance du Contexte Géographique : Le lieu de vie influence significativement les représentations politiques.
  2. Existence d’une Conscience Rurale : Similaire à celle observée aux États-Unis, fondée sur une « politique du ressentiment ».
  3. Écart entre Réalité et Perception : Il existe une divergence notable entre la réalité des inégalités territoriales et la perception qu’en ont les habitants.

Les perceptions des habitants, alimentés par les discours médiatiques et politiques, jouent un rôle crucial. Le RN a réussi à se positionner comme le défenseur des zones rurales abandonnées et méprisées. Pour contrer cette dynamique, les autres forces politiques doivent élaborer un discours prenant en compte cette conscience rurale, évitant à la fois le misérabilisme et la condescendance, pour résonner avec les représentations des habitants des zones rurale. Il est donc plus que jamais crucial pour l’ensemble des forces politiques d’adopter une approche qui dépasse les simples divisions économiques et sociales et qui reconnaît les dimensions anthropologiques et culturelles de cette opposition territoriale.

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Le pouvoir d’achat



Le pouvoir d’achat est devenu un mot passe-partout. Il semble mettre tout le monde d’accord. Il faut le préserver, l’augmenter, le défendre… Aujourd’hui, « le pouvoir d’achat » est sur toutes les lèvres. Des acteurs politiques de tout bord, des délégués syndicaux, des associations citoyennes… le convoquent avec ardeur. Rien n’est plus consensuel que les appels à le protéger.
Et pourtant, quand on prend le temps de s’y pencher vraiment, on découvre un terme rempli de présuppositions et d’ambiguïté.


Un tour de passe-passe


Le pouvoir d’achat est avant tout une notion utilitariste. Il est une revendication qui ne véhicule pas de valeur en soi. Il réduit la question du pouvoir sur nos vies à nos capacités de consommation. Derrière cette expression, il y a donc une forme de réductionnisme. Le pouvoir d’achat apparaît comme un outil économique destiné à satisfaire des besoins sociaux, mais le prisme utilitariste (en plus de réduire la manière de répondre à ces besoins) a pour effet de mal nous outiller pour apprécier ces besoins. En clair la notion de pouvoir d’achat propose de répondre de manière réduite à des questions posées de manière réduite.
Notre quotidien est de plus en plus alimenté de « besoins artificiels » ces besoins secondaires fabriqués pour répondre à un autre besoin. On peut, par exemple observer ce phénomène via la numérisation des services publics. Pour nous permettre de satisfaire des besoins administratifs (besoins primaires), nous obligent à nous doter d’un smartphone (besoins secondaires).
C’est l’ensemble de ces processus qu’il faut questionner pour remonter au niveau supérieur de réflexion et parler en termes de « pouvoir de vivre ». Hélas, les débats techniques (et donc en apparence dépolitisés) autour du pouvoir d’achat nous en éloignent. Ces discussions sont un piège. Quand on parle de pouvoir d’achat, on s’interroge rarement sur les circuits d’approvisionnement de la marchandise, sur les conditions de création ou même sur l’utilité des biens achetés et la place qu’ils occupent dans nos vies.
On peut véritablement parler d’un tour de passe-passe idéologique dont les victimes sont les plus pauvres d’entre nous. Les discours autour du pouvoir d’achat ont déplacé la réflexion du champ de la production de richesse et de l’organisation du travail vers celui de la consommation. Tant que l’on se concentre sur les moyens de compenser un manque on n’interroge pas le système qui crée ce manque. En compensant une inégalité, on en entretient les causes.


Une construction historique


Pour bien comprendre les choses, revenons un petit peu en arrière. La notion de « pouvoir d’achat » naît au début du XXe siècle, à un moment de notre Histoire où se multiplient les conflits sociaux. La société française entre alors massivement dans le modèle salarial et les catégories populaires sont progressivement dépossédées du contrôle de leur moyen de subsistance. En fuyant massivement les milieux ruraux où elles possédaient des moyens de production agricoles devenus insuffisants, elles se mettent au service de moyens de production qui ne leur appartiennent plus. Elles deviennent dépendantes de la paie d’un patron.
En 1911, le service de la « Statistique Générale de la France » débute des enquêtes périodiques sur les prix de détail et planche sur un indice des prix pour les treize produits de consommation les plus courants. C’est à ce moment-là que l’on commence à parler de « pouvoir d’achat ». Ces instruments de mesure nationale s’affinent progressivement jusqu’à la création de l’Insee [en 1946. Le thème s’installe alors durablement dans les discours politiques et syndicaux de tout bord jusqu’à devenir omniprésent pendant les Trente Glorieuses.
Progressivement, presque subrepticement, l’individu devient dépendant des produits industriels. Il perd peu à peu conscience de sa capacité à satisfaire ses besoins par des modes de production non industriels voire sans consommer. Le piège se referme.

***


Né de et dans nos systèmes économiques modernes, la notion de pouvoir d’achat est donc indissociablement liée à celles de croissance, de profits, d’expansion. Il est partie prenante des sociétés industrialisées. Il est l’un des verrous qui stabilisent l’équilibre actuel, celui-là même qui fait des gagnants…et des perdants.

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