Le radeau de La Méduse : quand l’État s’efface
Un épisode de la série : »survivre ensemble – ce que les extrêmes révèlent de ce qui nous lie »
7 récits réels, 7 situations-limites, 7 analyses sociologiques pour penser ce qui nous relie quand tout vacille
Juillet 1816. La frégate française La Méduse s’échoue sur un banc de sable au large de la Mauritanie. Trop de passagers, pas assez de canots. Alors, on improvise un radeau. Cent quarante-sept personnes s’y entassent : soldats, marins, passagers. Ils dérivent treize jours. Quinze survivants. Le reste ? Mort de soif, de faim, ou de violences.
Plus qu’un naufrage, La Méduse est le récit d’un effondrement politique, où l’absence d’autorité légitime laisse place à l’anarchie, puis à l’instinct brut. Et c’est cette bascule qui intéresse la sociologie.

La fin du commandement
Le capitaine et les officiers quittent le navire dans les chaloupes. Sur le radeau, il n’y a plus de chef. Juste la houle, le soleil et une promiscuité totale. Rapidement, les vivres manquent. La hiérarchie fond. Les conflits éclatent. On se bat. On jette les blessés à la mer.
C’est ce que Durkheim appelait l’anomie : la perte des repères normatifs. Là où les règles ne sont plus légitimes, la violence devient régulatrice.
Les limites de la société improvisée
Ce radeau est une société forcée. Faite de hasards, de peurs, d’alliances fugaces. La sociologie des groupes restreints (Bion, Lewin) nous apprend que tout collectif produit des normes. Ici, elles sont temporaires, mouvantes, souvent brutales. On protège les siens. On marginalise les faibles.
Mais au bout de plusieurs jours, une forme de coordination réapparaît : on rationne, on prie, on désigne des veilleurs. La société revient. De manière embryonnaire, mais réelle.
De la catastrophe au symbole
Ce drame devient vite un scandale politique : incapacité de l’État, incompétence, abandon. Il inspire Le Radeau de la Méduse de Géricault : une peinture de chair, de sang, et d’espoir. Mais aussi une critique sociale avant l’heure : que fait le pouvoir, quand il n’y a plus de radeau pour tous ?
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