Pompéi : mourir à sa place
Un épisode de la série : »survivre ensemble – ce que les extrêmes révèlent de ce qui nous lie »
10 histoires vraies, 10 situations-limites, 10 analyses anthropologiques pour penser ce qui nous relie quand tout vacille
24 août de l’an 79 après J.-C. Le Vésuve explose. En quelques heures, la ville de Pompéi est ensevelie sous les cendres. Une société tout entière figée dans son mouvement, stoppée net dans ses gestes quotidiens.
Mais sous la catastrophe naturelle, il y a un drame social. Car tous ne meurent pas de la même manière. Certains fuient. D’autres restent. Les riches en haut, les esclaves en bas. Même face au chaos, l’ordre social tient bon. Jusqu’au dernier souffle.

Une ville arrêtée en plein mouvement
Les fouilles archéologiques de Pompéi ont livré un spectacle macabre : des corps pétrifiés dans la cendre, des rues intactes, des maisons conservées comme si personne n’avait eu le temps de les quitter.
Tavernes ouvertes. Commerces actifs. Scènes domestiques figées. Les habitants n’ont pas fui à la première alerte. Pourquoi ? Par incrédulité ? Par attachement ? Ou par fatalisme ?
C’est ce qu’interrogent aujourd’hui les spécialistes des représentations sociales du risque. Mary Douglas l’a montré : face à une menace, ce n’est pas la réalité objective qui compte, mais le cadre symbolique de perception. À Pompéi, la montagne sacrée n’était pas perçue comme dangereuse. Le volcan ne parlait pas la langue des dieux.
Inégalités de survie
Ce que révèlent les fouilles, c’est une société immobile jusque dans sa panique. Les élites fuient en premier, par les grandes voies. On a retrouvé des bagues, de l’or, des attelages. Les pauvres, eux, sont morts là où ils travaillaient.
Dans les thermes, dans les caves, dans les cuisines. Les esclaves sont morts près de leurs maîtres. Non pas parce qu’ils y étaient contraints, mais parce que l’organisation du travail ne leur avait pas laissé de marge d’autonomie.
Norbert Elias, dans La dynamique de l’Occident, montrait comment les structures sociales façonnent les comportements jusqu’aux plus intimes. Ici, c’est l’habitus de la position sociale qui décide de la mort.
Quand la hiérarchie résiste à la catastrophe
Même sous les cendres, l’ordre social persiste. Les corps retrouvés dessinent une cartographie sociale : les nantis dans les villas, les ouvriers dans les ruelles, les prostituées dans les quartiers périphériques.
Ce n’est pas le hasard. C’est une reproduction de l’espace social dans l’espace urbain, et même dans la mort. Michel Foucault parlait d’hétérotopie : un lieu où les relations sociales se concentrent, se condensent, se figent. Pompéi est une hétérotopie ultime : une ville arrêtée dans sa hiérarchie.
Leçon d’une société pétrifiée
Pompéi ne nous parle pas seulement d’un volcan. Elle nous parle de ce qui tient une société — et de ce qui l’empêche de bouger même quand elle meurt.
Pourquoi les esclaves ne fuient-ils pas ? Pourquoi les femmes riches attendent-elles sous les portiques ? Pourquoi les boulangers ferment-ils leur boutique avant de courir ?
Parce que la norme sociale est plus puissante que l’instinct. Parce que, même face à la mort, on continue à jouer son rôle. Goffman l’avait formulé : la vie sociale est une scène. À Pompéi, la scène s’est effondrée, mais les rôles ont tenu.
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