Denis la Mache

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Le pouvoir d’achat



Le pouvoir d’achat est devenu un mot passe-partout. Il semble mettre tout le monde d’accord. Il faut le préserver, l’augmenter, le défendre… Aujourd’hui, « le pouvoir d’achat » est sur toutes les lèvres. Des acteurs politiques de tout bord, des délégués syndicaux, des associations citoyennes… le convoquent avec ardeur. Rien n’est plus consensuel que les appels à le protéger.
Et pourtant, quand on prend le temps de s’y pencher vraiment, on découvre un terme rempli de présuppositions et d’ambiguïté.


Un tour de passe-passe


Le pouvoir d’achat est avant tout une notion utilitariste. Il est une revendication qui ne véhicule pas de valeur en soi. Il réduit la question du pouvoir sur nos vies à nos capacités de consommation. Derrière cette expression, il y a donc une forme de réductionnisme. Le pouvoir d’achat apparaît comme un outil économique destiné à satisfaire des besoins sociaux, mais le prisme utilitariste (en plus de réduire la manière de répondre à ces besoins) a pour effet de mal nous outiller pour apprécier ces besoins. En clair la notion de pouvoir d’achat propose de répondre de manière réduite à des questions posées de manière réduite.
Notre quotidien est de plus en plus alimenté de « besoins artificiels » ces besoins secondaires fabriqués pour répondre à un autre besoin. On peut, par exemple observer ce phénomène via la numérisation des services publics. Pour nous permettre de satisfaire des besoins administratifs (besoins primaires), nous obligent à nous doter d’un smartphone (besoins secondaires).
C’est l’ensemble de ces processus qu’il faut questionner pour remonter au niveau supérieur de réflexion et parler en termes de « pouvoir de vivre ». Hélas, les débats techniques (et donc en apparence dépolitisés) autour du pouvoir d’achat nous en éloignent. Ces discussions sont un piège. Quand on parle de pouvoir d’achat, on s’interroge rarement sur les circuits d’approvisionnement de la marchandise, sur les conditions de création ou même sur l’utilité des biens achetés et la place qu’ils occupent dans nos vies.
On peut véritablement parler d’un tour de passe-passe idéologique dont les victimes sont les plus pauvres d’entre nous. Les discours autour du pouvoir d’achat ont déplacé la réflexion du champ de la production de richesse et de l’organisation du travail vers celui de la consommation. Tant que l’on se concentre sur les moyens de compenser un manque on n’interroge pas le système qui crée ce manque. En compensant une inégalité, on en entretient les causes.


Une construction historique


Pour bien comprendre les choses, revenons un petit peu en arrière. La notion de « pouvoir d’achat » naît au début du XXe siècle, à un moment de notre Histoire où se multiplient les conflits sociaux. La société française entre alors massivement dans le modèle salarial et les catégories populaires sont progressivement dépossédées du contrôle de leur moyen de subsistance. En fuyant massivement les milieux ruraux où elles possédaient des moyens de production agricoles devenus insuffisants, elles se mettent au service de moyens de production qui ne leur appartiennent plus. Elles deviennent dépendantes de la paie d’un patron.
En 1911, le service de la « Statistique Générale de la France » débute des enquêtes périodiques sur les prix de détail et planche sur un indice des prix pour les treize produits de consommation les plus courants. C’est à ce moment-là que l’on commence à parler de « pouvoir d’achat ». Ces instruments de mesure nationale s’affinent progressivement jusqu’à la création de l’Insee [en 1946. Le thème s’installe alors durablement dans les discours politiques et syndicaux de tout bord jusqu’à devenir omniprésent pendant les Trente Glorieuses.
Progressivement, presque subrepticement, l’individu devient dépendant des produits industriels. Il perd peu à peu conscience de sa capacité à satisfaire ses besoins par des modes de production non industriels voire sans consommer. Le piège se referme.

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Né de et dans nos systèmes économiques modernes, la notion de pouvoir d’achat est donc indissociablement liée à celles de croissance, de profits, d’expansion. Il est partie prenante des sociétés industrialisées. Il est l’un des verrous qui stabilisent l’équilibre actuel, celui-là même qui fait des gagnants…et des perdants.

L’école rurale en question

Après l’avoir tant aimée, on s’est mis à trouver bien des défauts à notre école rurale. On lui a reproché son isolement, sa tendance à enfermer les enfants dans l’horizon limité de leur territoire, la pauvreté de l’offre culturelle ou artistique et surtout un coût exorbitant pour nos petites communes. Mais qu’en est-il vraiment ?

L’école communale se mourrait lentement quand, au début des années 2000, une solution est arrivée : c’était les écoles en réseau. Les objectifs assignés à ces réseaux étaient ambitieux et prometteurs : maintenir les écoles proches des lieux de vie, stabiliser les équipes enseignantes, mutualiser les ressources et améliorer les résultats des élèves. On n’a alors pas trop prêté attention à quelques études qui soulignaient l’efficacité de l’école rurale et concluaient que « la structure des petites écoles, qui groupent plusieurs niveaux dans une même classe, favorise la réussite des élèves. Les classes à plusieurs niveaux sont plus favorables aux apprentissages que les classes à un seul niveau ».

Ignorant cela, l’école rurale se réinventait notamment en concentrant les élèves dans des groupes scolaires neufs équipés d’importants moyens pédagogiques. Cette politique a eu plusieurs effets, plus ou moins voulus, plus ou moins bénéfiques à long terme.

D’abord, elle a ancré dans l’esprit de beaucoup d’acteurs locaux que « l’isolement » était la cause de bien des maux : retard scolaire, performances médiocres, méthodes pédagogiques surannées…

Mais cette politique a aussi stimulé le recours aux technologies de communication : les écoles rurales utilisent plus fréquemment les TIC pour l’éducation que les autres écoles.

Pour pérenniser les écoles, on a considéré comme prioritaire de favoriser l’accueil de nouveaux résidents, qui, pour beaucoup, travaillent en ville. Alors, pour répondre à leurs demandes, les rythmes de vie des enfants se sont adaptés à ceux des parents. On a généralisé et modernisé la restauration scolaire, confiant au passage la confection des repas à des sociétés spécialisées. On a créé des accueils périscolaires. Dans le même temps, les familles ont exprimé une exigence de qualité en matière scolaire. Conséquence de cela, la concurrence s’est invitée entre les services éducatifs. La proximité n’est désormais plus le seul facteur déterminant dans le choix d’un établissement scolaire. Pour éviter le risque d’une fuite des enfants vers les écoles de villes, facilitée par les déplacements professionnels quotidiens des parents, les collectivités ont développé et restructuré les services annexes à l’école (ateliers divers, cantine, garderies, centres de loisirs…).

Finalement se sont l’implantation et l’organisation de l’école elle-même qui ont évolué. Aux regroupements pédagogiques intercommunaux dispersés (avec les classes réparties dans les écoles des villages), on préfère les RPI concentrés plus faciles à doter d’équipements périscolaires, restaurant et garderie.

Petit à petit, l’école s’est mise à moins contribuer à la vie communale. Les dynamiques qu’impulsait l’éducation populaire liées aux institutions locales qu’étaient l’école ou la paroisse sont devenues moins visibles. Les enseignants sont aujourd’hui moins ces acteurs incontournables de la vie locale qu’ils avaient pu être il y a quelques décennies. Ils habitent d’ailleurs rarement le village dans lequel ils enseignent. Les accueils de loisirs péri et/ou extra scolaires sont gérés par des instances intercommunales, distantes des villages, souvent géographiquement et au moins administrativement.

De manière générale, la réorganisation du maillage scolaire en milieu rural ne peut plus guère se passer de la coopération intercommunale. La collaboration entre communes s’impose aux municipalités, dans le domaine scolaire comme dans beaucoup d’autres ne serait-ce que pour maintenir un service minimum. L’élargissement des aires administratives qui gèrent les affaires publiques du quotidien en milieu rural contribue à l’éparpillement et la segmentation des lieux d’activité. La dispersion tend à accroître l’isolement des personnes et à réduire les possibilités de constitution d’un sentiment d’appartenance à un collectif local. Si l’on y prend garde, les populations rurales risquent de disparaître derrière les zonages. Et à sa manière, l’école pourrait participer à cette « dissémination » qui menace l’identité rurale.

Y a t’il trop de communes en France ?

Il faut, parait-il, réduire le nombre de communes. On fera des économies. L’idée est répandue. La formule est séduisante et la solution semble facile à mettre en œuvre. Mais la réalité, comme souvent, n’est pas si simple. Parce qu’après tout de quoi parlons-nous ? Que voulons-nous réduire et quel est le but ? Quelle société voulons-nous ? Quel monde sommes-nous en train de préparer ?

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