Denis la Mache

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Circuler ensemble, mais vraiment ensemble ?

Et si nos espaces urbains, conçus pour cohabiter, renforçaient en réalité les divisions ? Pistes cyclables, trottoirs, voies réservées : ces aménagements urbains promettent un usage harmonieux de l’espace, mais suscitent souvent des tensions et des conflits. Alors, que dit la sociologie à ce sujet ? Et surtout, comment repenser nos espaces pour favoriser le lien social ?

1. Espaces urbains : entre règles et fragmentation

Ferdinand Tönnies, sociologue allemand, distingue deux formes de liens : la Gemeinschaft , fondée sur la proximité et les relations personnelles, et la Gesellschaft , où des règles encadrent la cohabitation entre individus. Dans nos villes, ces deux modèles s’entrechoquent.

D’un côté, le code de la route régule la circulation. De l’autre, piétons, cyclistes et automobilistes agissent comme des micro-communautés, chacun défendant son territoire. Selon une étude récente publiée dans Urban Studies (2023), cette segmentation des espaces urbains amplifie les tensions. Les pistes mal adaptées transforment les interactions en conflits : les piétons reprochent aux cyclistes leur vitesse, tandis que les automobilistes jugent les pistes cyclables envahissantes.

2. La cohabitation ou la coexistence méfiante

Ces espaces fragmentés traduisent une « contrainte de cohabitation », selon l’expression du géographe David Harvey. Plutôt que d’encourager les rencontres, les aménagements urbains cloisonnent les usagers, instaurant une méfiance mutuelle.

Ce constat pose une question : comment passer d’une simple coexistence à une véritable convivialité ? Inspirons-nous des concepts d’urbanisme tactique : des rues transformées temporairement pour tester des usages partagés. À Nantes, par exemple, certaines rues piétonnes accueillent ponctuellement des marchés ou des événements, brisant les frontières d’usage et invitant au dialogue.

3. Ralentir pour mieux se rencontrer

Au lieu de multiplier les zones réservées, pourquoi ne pas imaginer des espaces réellement partagés, où chacun adapte sa trajectoire ? Des initiatives comme les « zones de rencontre » – où voitures, vélos et piétons circulent sans hiérarchie stricte – existent déjà. Ces espaces conservent l’interaction et l’attention à l’autre.

La ville peut ainsi devenir un lieu d’apprentissage collectif, où circuler côte à côte n’est pas seulement une obligation mais une opportunité : celle de découvrir les besoins de l’autre, d’apprendre à ralentir et à prêter attention.

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Bref, repenser nos espaces urbains, ce n’est pas seulement améliorer la circulation. C’est récréer les conditions du lien. En favorisant des lieux d’interaction plutôt que des zones cloisonnées, nous pouvons faire de nos villes des espaces où la rencontre redevient possible. Si l’espace ne fait pas la société, il en est une indispensable condition d’expression.

Les milles visages de la famille rurale

On imagine souvent la campagne comme un bastion de traditions figées, mais la réalité est bien plus complexe et en constante évolution. La famille rurale d’aujourd’hui évolue, s’adapte, se diversifie. Et elle a bien des défis à relever. Sur ce sujet comme sur beaucoup d’autre il est utile de dépasser la caricature pour aller voir de près comment on vit vraiment à la campagne.

Les familles rurales, autrefois largement perçues comme conservatrices, se diversifient. D’après une étude de l’INSEE, près de 18 % des familles en zones rurales sont aujourd’hui des familles monoparentales ou recomposées, un chiffre en augmentation régulière ces dernières décennies. Bien sûr, les familles nucléaires (le père, la mère et les enfants) restent présentes, mais on voit bien que les modèles évoluent, influencés par les normes urbaines tout en conservant un socle de valeurs traditionnelles, notamment autour de la transmission patrimoniale et de l’entraide intergénérationnelle.

En parlant de solidarité, c’est d’ailleurs un élément central de la vie à la campagne. Le sociologue Benoît Coquard montre que 60 % des habitants des petites communes participent régulièrement à des réseaux d’entraide locale , que ce soit pour la garde d’enfants, des travaux de rénovation, ou d’autres formes de soutien quotidien. Ce système de solidarité compense souvent le manque d’infrastructures publiques dans nos territoires et renforce la cohésion entre les générations.

Enfin, j’aimerais dire un mot des migrations de populations et des retours vers le rural. Chaque année, environ 20 000 personnes choisissent de s’installer dans des communes rurales après avoir vécu en milieu urbain, apportant avec elles de nouvelles habitudes et des attentes différentes. Parallèlement, les départs de nos jeunes vers les villes, que ce soit pour les études ou l’emploi, modifient les dynamiques familiales et créent des tensions. Pour certains, ce phénomène engendre un sentiment de relégation, renforcé par le vieillissement des familles qui restent sur place.

Ces transformations dessinent un paysage rural pluriel où traditions et modernité coexistent, parfois avec des frictions, mais aussi avec de belles opportunités. En tant que maires ruraux, nous avons un rôle essentiel à jouer pour accompagner ces évolutions et assurer la vitalité de nos villages. Puissions nous avoir encore longtemps les moyens de développer des politiques locales à la fois simples et ambitieuses  qui répondent aux réalités d’aujourd’hui.

town near forest

La mairie : dernier bastion du service public de proximité en milieu rural

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Nouvelles chroniques Kanak

Il y a 25 ans tout pile, j’achevais ma thèse de doctorat au centre d’anthropologie des mondes contemporain à l’Ecole des Hautes Études en Sciences Sociales et je faisais la connaissance d’un chercheur passionnant et largement passionné qui nous parlait d’un territoire lointain et exotique que je n’avais pas encore parcouru. Ce territoire, c’était la Nouvelle Calédonie. Ce chercheur, c’était Alban Bensa. Alors, aujourd’hui, évidemment, je me souviens.

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