Faire territoire ensemble

Jamais le territoire n’a été aussi présent dans le vocabulaire des politiques publiques. Jamais pourtant l’éclatement des activités quotidiennes des habitants n’a été aussi grand et jamais l’aspiration à relocaliser les pratiques et les relations n’a été aussi présente. N’y aurait-il pas là une apparence de contradiction ? Mais au fait, parlons-nous du même territoire ?

Il est grand temps de s’entendre au moins sur les termes puis sur les actes pour, enfin, ensemble, agir localement et concrètement pour refaire société.

Qu’est-ce que le territoire ?

Le territoire n’est pas [ne doit pas être] la traduction inerte et définitive d’un découpage administratif. Le réduire à ça, c’est le condamner à l’inutilité et contribuer à nous précipiter dans l’inaction. Avant d’être une chose, le territoire est un mouvement. Le territoire est une appropriation à la fois économique, idéologique et politique de l’espace par des groupes qui se donnent une représentation particulière d’eux-mêmes, de leur histoire commune, de leur mode de vie, de leurs aspirations.

Le territoire est un agencement de ressources matérielles et symboliques destiné à structurer les conditions pratiques et concrètes de l’existence d’un individu ou d’un groupe. En retour, le territoire produit une identité en permettant à ceux qui s’en saisissent de se raconter une histoire commune et de se projeter dans l’avenir.

Le territoire n’est donc pas seulement un donné, un support. Il est aussi un construit. Il est une construction politique et sociale instable, car mutante qui s’insère dans un rapport continu à un environnement changeant. Le territoire n’est pas un périmètre géographique. C’est d’abord une réalité humaine. C’est de l’histoire. C’est du vécu.

Un territoire est une machine à créer de la ressource relationnelle et en particulier de la confiance et de la proximité. En tant que vecteur de ressources et de création, le territoire offre un premier niveau de confort et de sécurité.

La commune, la communauté de commune, le département la région… Apparaissent donc moins comme des entités territoriales à proprement parler que comme des ressources politico administratives disponibles, utilisables pour faire territoire.

Territoire et projet

Pour fonder un destin commun, il faut un projet. Faire un projet peut rencontrer la notion de territoire à différents niveaux : comme cadre, comme ressource, comme justification, ou même comme effet.

Faire un projet de [sur le] territoire ne saurait évidemment se résumer à un catalogue d’actions diverses sans liens entre elles. Le projet de territoire doit fixer une ambition réaliste et forger dans la confrontation, la négociation et le consentement un futur désirable.  Il peut évidemment et être nourri d’initiatives et d’expérimentations locales issues de l’échelon ultra local de la commune ou du quartier , cet echelon qui a la capacité de mettre comme entre parenthèses les logiques de domination macro sociale pour laisser émerger l’immédiateté des liens sociaux interpersonnels. Partir du projet et le décliner en actions, partir des actions pour les intégrer dans un projet commun… tout est possible à condition de faire sens, à condition de réarticuler en permanence territoire, projet, actions.

Projets et territoires se génèrent mutuellement. C’est à partir des projets que l’on fait territoire. Ce sont les territoires qui permettent aux projets d’éclore et de se réaliser. En ce sens, tous les territoires sont pertinents, quelles que soient leurs échelles.

Territoire et action publique

La question de la gouvernance des territoires se pose, car notre action politico administrative actuelle est totalement structuré autour d’une définition obsolète de la notion de territoire. Dans une perspective de développement territorial, le projet commun passe par un partenariat entre les différents acteurs locaux et une participation des citoyens de sa conception à sa réalisation et son évaluation. Cette dynamique place les citoyens comme acteurs et non comme spectateurs ou acteurs intermittents qui délèguent tous les 6 ans leur pouvoir d’agir à leurs représentants élus. Il faut donner et reconnaître à tous les moyens et les capacités d’agir et de contribuer à l’intérêt général.

Il faut équiper des communautés d’action pour travailler ensemble. Il faut créer de l’accompagnement à la collaboration et susciter des interactions entre les différents types d’acteurs. Chacun d’eux détient des parties de solutions. C’est l’agrégation de ces solutions et la négociation des antagonismes qui pourra répondre au défi collectif. Les processus de développement peuvent emprunter différentes voies possibles à réinventer sans cesse en fonction des ressources du territoire. Personne n’a le monopole de la solution ultime, ni l’Etat, ni les élus locaux, ni les corps intermédiaires.

Si la participation des citoyens s’impose dans la réalisation d’un projet de développement territorial, elle ne s’improvise pas. Sa réalisation appelle la maîtrise de méthodes appropriées pour cheminer des opinions brutes d’une population vers des jugements éclairés et les décisions correspondantes. La dynamique mise en place pour assurer la participation de la société civile à la construction d’un projet territorial doit éviter toute confusion entre les rôles respectifs des élus, des techniciens, des responsables associatifs…

En cela réside sans doute l’un des plus forts enjeux des années qui viennent : refaire advenir les citoyens comme partenaires de l’action publique.