Complexité territoriale : Nos territoires sont-ils devenus ingérables ?

C’est, paraît-il, un mal bien français que de rendre compliqué ce qui pourrait être simple. Tiens. Prenez par exemple nos territoires ruraux. Entre les communes, les communautés de communes, les départements, les régions… Si on ajoute les syndicats intercommunaux pour l’eau le gaz, l’electricité et les ordures ménagères…On n’y comprend plus rien.

Alors cette complexification, ce mal français… mythe ou réalité ? Il est peut-être temps de se pencher sérieusement sur le sujet. En fait, nos territoires font face, actuellement, à 3 évolutions majeures.

La première évolution tient à la complexité croissante des acteurs locaux. Les décisions locales en matière d’aménagement, de culture, d’économie… se prennent dans une foultitude de parties prenantes. Cette multitude implique les pouvoirs publics de l’État, des collectivités, mais aussi les producteurs de biens et de  services.

La deuxième évolution vient de l’implication de plus en plus grande des populations, qui souhaitent participer aux processus de décision collective et contribuer aux projets de territoires. Elles souhaitent jouer un rôle dans les évolutions de la démocratie locale, par l’intermédiaire de groupes d’action et de revendication comme des associations ou des lobbies plus ou moins formels. Dans le domaine de l’aménagement du territoire en particulier, il faut souligner le rôle de plus en plus important joué par les associations. C’est un rôle qui marque l’entrée du citoyen dans les processus de décision et la part croissante qu’il souhaite prendre au niveau local, qu’il s’agisse de porter des projets, de les contester… ou de les combattre. On pense en particulier aux associations de protection de l’environnement et de la biodiversité, dont certaines déploient leur action au niveau national, voire international. On pense aussi aux associations d’habitants ou de voisinage, qui interviennent souvent à un niveau plutôt ultra-local. On sait que ces associations, longtemps principalement  tournées vers la contestation de la décision publique, sont aujourd’hui devenues des parties prenantes importantes de la discussion publique, et particulièrement de l’élaboration concertée de projets au niveau local.

La troisième évolution tient à la multiplication et à la diversification des niveaux de gouvernance : aux échelons locaux, départementaux, régionaux et nationaux est venu s’ajouter le niveau européen, avec, lui aussi, son lot de normes  et de règlements. L’échelon local lui-même a vu augmenter le nombre d’instances décisionnaires et porteuses de politiques publiques : la commune reste évidemment la cellule de base de la décision locale, mais le développement des groupements de communes et des instances de coopérations intercommunales a complexifié le panorama de l’action publique.

La gouvernance des territoires ne se limite donc pas à une vision apaisée des relations économiques, sociales et politiques faites de coopération et de constructions collectives. C’est aussi une interaction entre, d’une part, des forces qui incitent à la collaboration et d’autre part, des forces qui poussent au conflit dans un environnement législatif, normatif et réglementaire de plus en plus complexe. Loin d’être un long fleuve tranquille, les processus du développement territorial sont faits de phases de négociations, de collaboration ou d’apaisement accolées à des périodes beaucoup plus animées, tendues ou conflictuelles, au cours desquelles des groupes, des collectifs ou des acteurs publics ou privés s’opposent, parfois violement, pour définir les orientations, les projets et les options à retenir. La gouvernance de nos  territoires présente ces deux faces contraires et complémentaires, dont l’importance réciproque varie selon les périodes, les contextes et les situations. Elle se nourrit de ces forces opposées, dont la synthèse conduit in fine à la mise en œuvre du développement territorial. Alors, tout cela ? Est-ce un bien ou un mal ? … ni l’un ni l’autre … ou peut-être les deux à la fois.